Accueil Culture Reportage — Souvenirs d’une escapade à la Galite: L’île aux langoustes (I)

Reportage — Souvenirs d’une escapade à la Galite: L’île aux langoustes (I)

«Il faut mériter ses îles», écrit Armand Guibert, et nos vadrouilleurs ont dû payer d’une longue attente la visite de la Galite, cet archipel situé au nord-ouest de la Tunisie et se composant de la Galite, des Galitons, ainsi que des îlots des chiens (Gallina, Pollastro et Gallo). A ce jour, une telle entreprise relève encore du domaine de l’impossible. Aucune embarcation au port de Bizerte ou de Tabarka ne répondrait aux nouvelles exigences maritimes pour le transport de passagers et de touristes vers une pareille destination. Pourtant, durant les siècles passés, l’île assurait sa communication non seulement avec le continent, mais aussi avec les autres îles.

Aujourd’hui, faute de moyens de communication, la Galite semble, tel un caillou en Méditérranée, posé sur les flots par un caprice divin. C’est ce qui rend la redécouverte de l’île, plus excitante encore et voilà un premier groupe de vadrouilleurs déterminés à aller faire leurs dévotions à la Galite. L’île est aujourd’hui en sommeil, après avoir joué pendant des siècles un rôle de premier plan dans l’histoire de la Méditerranée. Pourtant, les routes de la navigation ne se sont jamais détournées d’elle. Mais elle tient à l’écart les navires de fort tonnage et seuls les plaisanciers et les barques peuvent l’approcher. On embarque, tôt le matin, à bord de «Saïda», un petit bateau à moteur du Club nautique de Tabarka, qui vient de quitter fraîchement sa cale sèche après avoir subi un lifting total. «C’est la deuxième traversée vers la Galite», nous informe le raïs, fier d’être à la barre de ce nouveau joyau du club. On quitte le port, faisant face à un léger vent du nord avec à l’arrière une houle du sud, laissant derrière nous Tabarka avec son fort génois, perché sur l’îlot qui protège le port. A peine avait-on avancé de quelques miles, que les passagers commenceront à  arroser de questions les deux membres de l’équipage : «Quand est-ce qu’on va apercevoir l’île ?».

«Ce n’est que lorsque la côte de Tabarka sera hors de vue que la Galite apparaîtra», répondit l’aide-mécanicien. Les heures se succédaient à bord tandis que s’atténuait la netteté des formes des côtes de Tabarka. Sur les vagues de ce grand bleu, on s’escrime à reconstituer comme un puzzle l’histoire d’une mer qui a été la plus écumée et le plus avidement pressée par la curiosité de l’homme, mais qu’on s’afflige de voir sa paix violée par les long-courriers et les cargos sans gloire qui croisent  au large battant divers pavillons. Après plus de trois heures de traversée à une vitesse de 7 nœuds par heure, l’île apparaît, ouatée d’une brume assez compacte. Elle semble s’élever au-dessus des eaux comme un cachalot en dérive. On sait que l’on met le cap sur une île dépeuplée où il n’y a plus un seul Galitois, mais l’on continue à faire voile vers sa Désirade, tant elle est entourée de mystères. 

C’est une île qui fait  valoir son droit à la singularité, tant son passé est chargé d’histoire. Sentinelle immobile, elle fut de tous les assauts, acteur involontaire d’une histoire longue de plus de trois millénaires. Cependant, sa solitude restera incomplète : les îles Galitons et Fauchelles lui tiennent compagnie depuis la naissance. A notre approche de l’île, des phoques-moines nous réservent un accueil spectaculaire avec quelques parades qui ont fait le bonheur  des passagers. L’on se réjouit déjà à l’idée de pénétrer des eaux encore à l’état vierge. A partir de son  chalutier qui passait tout près de notre barque, un pêcheur, tenant dans sa main une langouste, nous fait signe qu’il peut nous régaler par sa prise. En approchant du mouillage, le raïs réduit la vitesse, tandis que le mécanicien se met droit sur la poupe pour guider une manœuvre délicate dans un port difficile d’accès et afin d’éviter une rencontre malencontreuse avec des cordages ou autres obstacles. Enfin, on jette l’ancre et l’on se précipite de fouler le sol de la Galite pour en entamer l’exploration. Mais nous sommes  vite repérés, et l’un des militaires en faction sur l’île se propose de nous faire le «tour de l’île»… bénévolement.

L’on ne peut refuser une telle offre, et en cours de route, les bavardages  avec notre guide, nous apprennent comment la Galite fut colonisée en 1610 par un condamné à mort italien en fuite et comment il a passé quatre ans seul sur ce caillou, à l’époque bien boisé, avant d’être rejoint par son frère et sa famille. Il savait même comment les chèvres étaient importées par les pirates pour leur servir de nourriture lors de leurs venues suivantes et concluait par l’histoire d’une bouteille jetée dans un fleuve en Allemagne par une fillette de 7 ans, Jennifer, et récemment récupérée ici. Certes, il parla aussi de Bourguiba et comment il menait la résistance à partir de l’île, etc. Enfin, toutes sortes de récits de matelots superstitieux que des farceurs avaient probablement nourries. N’empêche, on lui prête l’oreille et on commence notre visite en partant de la source qui se trouve à l’Est du mouillage, en prenant les quelques marches aménagées par le passé et qui mènent droit à une maison aux tuiles roses  qui a abrité feu Habib Bourguiba pendant ses deux années d’exil sur l’île. A l’intérieur de la demeure qui sert de dortoir aux militaires, quelques soldats faisaient la sieste. On quitte les lieux pour ne pas déranger le sommeil de nos soldats et on continue en prenant l’une de ces pistes raboteuses qui s’accrochent en tous sens au flanc de la montagne. Tout est paisible sur l’île.

Agreste et silencieuse, l’âme y éprouve la liberté farouche, le goût de dominer et le besoin de retourner aux jouissances naturelles. Ptolomée la nommait Glathea, et son histoire est infiniment obscure. Même Pline, Silus Italicus et Delivio Sanuto n’ont pu éclairer les historiens sur le passé de l’île. Mais il est  presque établi que l’île n’a pu être habitée  de façon permanente que par les Phéniciens, qui «en firent sans doute un avant-poste d’Uthique et de Carthage». Mais même s’il est difficile de dater la première occupation de l’île, la découverte «d’éclats d’obsidienne  est pour le moment la seule preuve de la présence de l’homme dans l’archipel aux temps néolithiques»*.

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